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> Accueil > Ressources > Bibliothèque des rapports > Rapport de l’Onpes : "L’invisibilité sociale : une responsabilité collective"
[15 juin 2016]
Existerait-il des populations dont nous ne saurions rien de l’existence et de la précarité ? Que recouvre cette notion ? Pauvreté, exclusion et invisibilité se recoupent-elles, se renforcent-elles ? Quels sont les processus générateurs d’invisibilité sociale ? Comment peut-on la saisir concrètement ? La prévenir ?
Pour répondre à ces questions, l’ONPES leur consacre son onzième rapport annuel.
Dans le cadre de ses missions d’amélioration de la connaissance des phénomènes émergents d’exclusion sociale et de mise en visibilité de publics peu connus, l’ONPES est conduit naturellement à s’intéresser à l’invisibilité sociale. L’analyse des implications de ce phénomène pour la compréhension de la pauvreté et de l’exclusion sociale constitue un défi à relever pour mettre à jour de nouvelles réalités sociales latentes mais cachées.
Pour y parvenir, l’ONPES a engagé un vaste travail mobilisant une série d’études et d’enquêtes et convoquant un séminaire de recherche.
L’approche de la pauvreté par la notion d’invisibilité sociale prolonge les analyses traditionnelles de la pauvreté et de l’exclusion. En se fondant sur les interactions sociales, sur la réciprocité des regards portés sur autrui et sur soi-même, cette notion constitue une manière neuve d’observer les faits sociaux qui vient enrichir les outils existants. Alors que la notion de « pauvreté » renvoie quantitativement à des privations matérielles, l’approche de l’invisibilité vient éclairer qualitativement l’exclusion sociale qui porte sur les trajectoires des individus et la place qui leur est attribuée. La notion d’invisibilité sociale, privilégiée par l’ONPES, souligne l’importance des enjeux de la reconnaissance sociale et montre comment les relations sociales contribuent ou non à créer ou à renforcer des situations de pauvreté et d’exclusion.
Pour l’ONPES, l’invisibilité sociale s’entend d’abord comme un déni de reconnaissance sociale, selon la définition du philosophe Axel Honneth. Inventoriant les formes d’attente que les individus peuvent légitimement avoir à l’égard des autres membres de la société, sa théorie de la reconnaissance permet de caractériser les « pathologies sociales » qui affectent notre société.
L’ONPES définit ainsi comme invisibilité sociale, les processus (c’est-à-dire les attitudes, les comportements, les normes et les dispositions institutionnelles) induits par divers acteurs qui, dans leur complexité, génèrent un déni de reconnaissance sociale des personnes pouvant affecter l’étendue et l’intensité de leur conditions de vie déjà précaires. Cette dynamique se rapporte aux personnes, mais plus souvent à leurs propres difficultés sociales.
Cette définition opérationnelle de l’invisibilité sociale sert de fil conducteur au rapport
Le premier présente les diverses interprétations de cette notion dans toutes les disciplines des sciences sociales. Cette revue de la littérature permet d’aboutir à une clarification de ce concept aux contours flous.
Le second chapitre s’attache à identifier les processus par lesquels se forme l’invisibilité sociale. Sont plus particulièrement examinés, les rôles spécifiques des médias, des travailleurs sociaux, des décideurs politiques, de la statistique et des politiques sociales dans la formation de l’invisibilité sociale.
Puis trois catégories de publics invisibles sont étudiées dans le troisième chapitre. Il s’agit des jeunes ruraux et néoruraux, marqués par les mutations récentes de leurs territoires, la périurbanisation et la « rurbanisation » ; des travailleurs non salariés pauvres, traversés par les mutations de la sphère de l’emploi, avec la montée du travail indépendant depuis le début des années 2000 ; du vécu des parents des enfants placés via l’aide sociale à l’enfance (ASE), en lien avec les mutations contemporaines de la famille et du droit familial.
Enfin, le dernier chapitre, centré sur les personnes pauvres et exclues, formule une série de recommandations pour l’action publique, visant à prévenir l’apparition de l’invisibilité sociale.
Si l’on n’y prend pas garde, prévient le rapport, l’extension de l’invisibilité sociale peut avoir des conséquences nuisibles pour les individus, et plus globalement pour la société alors atteinte dans ses mécanismes de cohésion sociale. Les résultats d’une enquête ne montrent-ils pas qu’une part significative des Français déclare être souvent confrontée à des difficultés importantes que les pouvoirs publics ou les médias ne voient pas, sentiment d’invisibilité davantage partagé par la classe d’âge des 40-59 ans et les classes moyennes inférieures ?
Leur insensibilité croissante à l’égard des besoins des plus pauvres ne prendrait-elle pas sa source dans l’ignorance des responsables publics de leurs propres difficultés ?
Pour sa part, l’ONPES a d’ores et déjà tiré enseignement de ce travail et de l’utilité du concept d’invisibilité sociale pour son activité d’observation sociale. Ainsi, il ne faut pas seulement connaître plus, mais mieux connaître. Il ne faut pas que grossir l’objectif, mais mieux regarder, en faisant « un pas de côté » pour sortir des barrières habituelles de la connaissance.
Concrètement, l’ONPES envisage d’enrichir son tableau de bord d’indicateurs d’une mesure régulière du sentiment d’appartenance à la vie sociale, pour les populations dont les niveaux de vie se situent en-dessous des budgets de référence.